vendredi 18 mai 2018

249 - la fiancée du prince


Un châtiment disproportionné, bien dans la tradition ancestrale, voilà ce que nous propose cette chanson tragique. Quelques uns des épisodes nous font immédiatement penser à d'autres chansons héritées d'une époque lointaine : la mère sur le créneau qui voit venir le cavalier, tout comme dans la chanson du Roi Renaud ; l'infidélité, réelle ou supposée, punie de façon barbare tout comme dans l'histoire des anneaux de Marianson.
La version que nous vous proposons vient des collectes de Gustave Clétiez, reprises par Fernand Guériff. Si cette aventure est assez rarement chantée, elle est tout de même assez présente dans notre région puisqu'on en trouve plusieurs interprétations en Haute-Bretagne et particulièrement dans le pays de Chateaubriant.
pour écouter la chanson et lire la suite
Il est difficile de se référer à une version-type pour un texte aussi ancien qui a donc subi toutes les transformations ou les omissions qu'implique la transmission orale. Nous nous contenterons donc de le comparer avec des versions plus complètes. Vous en retrouverez quelques unes dans des enregistrements déjà publiés :
- le double CD « grandes complaintes de Haute-Bretagne », chantée par Marc Lhermite, d'après une collecte dans les Côtes d'Armor
- la cassette « Bogue d'or 1989 », chantée par Lydie Pécot d'après la version de Mme Boulais de Villepot (44).
- le livre « Vous jeunes gens qui désirez entendre » avec la reconstitution effectuée par Gisèle Galais
Voilà pour les éditions de Dastum. D'autres enregistrements sont disponibles sur la base Dastumedia. Cette complainte a aussi été imprimée dans différents ouvrages sur la base de collectes en Nivernais (Millien), au Québec ou en Italie, liste non exhaustive. Patrick Malrieu en a recensé une trentaine en langue bretonne. Pour finir, écoutez aussi la belle interprétation de la version Clétiez faite par Roland Brou et Patrick Couton sur leur CD « complaintes et chansons », en 2005.
Venons en aux faits. Tout comme dans les anneaux de Marianson, le prince est informé de son infortune par un tiers. A priori pas de vengeance ou de mauvais calcul ici. C'est une bergère qui a donné l'information en chantant. Curieuse façon de faire passer le message.
L'épisode manquant dans la complainte guérandaise se situe au retour du prince au château. Informée par sa mère de l'arrivée de son fiancé qui est absent depuis longtemps, l'accouchée propose de se faire remplacer par sa sœur qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau :
Présentez lui ma sœur qui me ressemble de la bouche et des yeux
Mais le cavalier n'est pas dupe. Il ne reste plus à la jeune fille qu'à se présenter sous son meilleur jour malgré son récent accouchement.
Notons au passage que la vraisemblance n'est pas le fort de ces complaintes anciennes qui jouent allègrement avec les durées et les distances. Si le prince a déjà été informé c'est qu'il n'était pas si loin pour pouvoir revenir aussi vite. Alors pourquoi une aussi longue séparation ? Mais à trop vouloir prendre cette histoire au premier degré on manquerait l'essentiel.
A vrai dire on ne sait pas exactement d'où vient ce prince – peut-être des croisades ? - sauf dans les versions italiennes qui le font revenir de Lyon vers le Piémont. On ne sait même pas qui est ce prince, parfois qualifié de Duc d'Orléans ou prince de Bourbon. Au Québec, il est nommé prince des Ormeaux dans une chanson recopiée par Marius Barbeau, dont la mélodie est sans doute la plus proche de celle notée par Gustave Clétiez.
On ne sait pas plus qui est le père de l'enfant. Le prince, plus soucieux de venger son honneur pose rarement la question, sauf encore en Italie. Et là on n'est pas déçu par les réponses, le fautif étant selon les versions : le prince de Hollande ou de Flandre, le duc d'Arménie, le comte Bellarosa.
On est entre gens du même monde. Ce qui n'empêche pas l'issue tragique et sanglante. L'infidèle périt par l'épée ou le poignard, à l'exception d'une chanson où elle reçoit le même supplice que Marianson, traînée derrière un cheval. Habituellement, le prince décapite sa fiancée ou lui fend le crane pour mettre la cervelle au vent.
Mais la fin la plus étrange (et la moins sanglante) est narrée dans une version collectée en Normandie en 1876 (1). La fiancée raconte avoir été violée :
Il vint de nuit, de nuit s'en retournit,
Par ses laquais les yeux il me bandit,
De son mouchoir les bras il me Iiit.
Ultime rebondissement, le prince avoue que c'était lui l'auteur de ce forfait :
C'est moi, la belle, qui suis le père de votre fils.
Regardez, belle, au ciel de votre lit,
Regardez-y, mon nom y est écrit.
Mais dans le pays guérandais, comme pratiquement partout ailleurs, c'est sur une note tragique que finit l'existence de cette jeune fille dont on apprend qu'elle n'avait que quinze ans !

Note
1 - Legrand Emile. Chansons populaires recueillies en octobre 1876 à Fontenay-le-Marmion, arrondissement de Caen (Calvados). In: Romania, tome 10 n°39, 1881. pp. 365-396;

interprète : Roland Guillou
source : collecte de Gustave Clétiez à Guérande au 19ème siècle - repris par Fernand Gueriff dans le tome 1 du Tésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande (page 120)
catalogue P. Coirault : 9808 – la fiancée infidèle


Je lui ai dit : ma bergère en passant
Voudrais tu bien répéter ta chanson
Voudrais tu répéter ta chanson, répéter ta chanson

Oh oui monsieur, je vous la dirai bien
Vous promettez de ne vous fâcher point

C'est votre amie, beau monsieur par amour
Qu'est accouchée d'un enfant y'a trois jours

Vite, Cadet, à cheval faut monter
Que j'aille voir ma mie qui est accouchée

Sa bonne maman qu'était sur les remparts
Qui vit venir ces beaux chevaux du roi

Ah ! Malheureuse fille qu'as tu fait ?
Le fils du roi qui vient pour t'épouser

Ma bonne maman présentez lui mes vœux
Un peu de couleur à ma bouche à mes yeux

Eh, eh la belle, avec toutes vos couleurs
Je ne viens pas pour vous faire les honneurs

Le beau galant dans la chambre est entré
Trouva la belle sur son lit à pleurer

Ma belle, ma belle allons nous promener
Dans le jardin, devant le vert laurier

Le beau galant prend son poignard d'argent
Cousit la belle de la tête jusqu'aux dents

Sonnez, sonnez tambours et violons
Ma mie est morte dès l'âge de quinze ans

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire