vendredi 5 janvier 2018

230 - Janvier près d'un bon feu

Pour bien commencer l'année, il faut s'y prendre au mois de janvier. C'est ce que proclame une de vos chansons préférées de ce blog (1). Les plus appréciées ne sont pas toujours les mélodies les plus élaborées. Celle ci, dont le timbre ne vous est sans doute pas inconnu, devrait vous en convaincre.
Les énumérations de jours ou de mois servent de base à plusieurs chansons. La Perdriole est sans doute la plus connue : « au premier mois de l'année que donnerai-je à ma mie... ». Il n'existe cependant qu'un seul exemple de texte détaillant les douze mois de l'année à raison d'un couplet pour chacun. Nos archives sonores en présentent des traces, souvent incomplètes. C'est donc une reconstitution que nous vous proposons pour débuter cette nouvelle année.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Nous nous sommes mis en quatre pour reconstituer cette chanson. D'abord en utilisant les collectes réalisées par Pierre Guillard chez Mmes Madeleine Hardy, au Cellier et Aurélie Renaud, à Nozay. Mais les textes fournis par ces deux informatrices étaient incomplets, oubliant des phrases et des couplets entiers, pas toujours pour les mêmes mois. Nous avons donc reconstitué les manques en nous basant sur deux versions imprimées. La première est celle publiée par Armand Guéraud dans l'ouvrage de référence « chants populaires du comté nantais et du bas Poitou ». Le texte recueilli par Arthur Rossat en Suisse romande et publié en 1930, nous a permis de boucher quelques trous et préciser certaines formulations.
Cette chanson est un véritable défi pour la mémoire ce qui explique sans doute les oublis chez des informatrices âgées. Pour l'anecdote notons que Mme Renaud, dont la chanson est très fragmentaire, avait quand même retenu deux mois entiers (avril et décembre) et qu'elle est la seule à nous donner l'intégralité d'un texte cohérent pour le mois de décembre. Ce couplet avait dû la marquer !
En écoutant la chanson, vous avez donc reconnu l'air du roi Dagobert, sur lequel elle a été bâtie. Un « air de cor de chasse », comme aiment à le souligner certains musicologues qui affichent leur mépris pour la chanson populaire. Ou bien encore, une « musique si simplette que pour 12 vers elle n'a besoin que de 4 notes et de 2 phrases »(2). Ce timbre sous les titres de La fanfare, la Julie, le roi Dagobert a été publié dans la clé du caveau (air 209 dans l'édition de 1811). Cette pratique d'utiliser des timbres simples pour des chansons longues ou compliquées a au moins le mérite d'en faciliter la diffusion. Car c'est la manière dont cette chanson s'est répandue dans la tradition qui nous intéresse.
Les sources écrites ont joué, ici, un rôle plus important qu'à l'habitude. Patrice Coirault (2) a relevé deux sources principales. La plus récente est une feuille volante illustrée, imprimée chez Pellerin à Epinal en 1890. La plus ancienne est un cahier de colportage, venant de chez Gouriet, imprimeur parisien qui exerçait à l'époque révolutionnaire. Ce détail a son importance pour certains couplets comme nous allons le voir.
En effet, si les couplets semblent suivre la logique saisonnière des travaux des champs et de la météorologie, il en est un qui dénote. Mars, dieu guerrier, nous vaut un couplet aux accents patriotiques qui nous permet d'échapper aux rigueurs du carême. Dans notre version, nous nous préparons à la guerre. C'est ce qui ressort de l'image d'Epinal publiée fin 19è siècle, donc en pleine période revancharde :
Chaque combattant / joint son régiment / dessous ses drapeaux / se range à propos
qu'on retrouve dans les chansons collectées dans nos contrées, alors que le texte de Gouriet, pendant la révolution, insiste sur la fin de la guerre :
Tous les combattants / sont tous très contents / de voir leurs drapeaux / qui sont au repos
Le reste du texte appelle moins de commentaires. Seul le mois de février nous donne l'occasion de rappeler qu'Argus (ou Argos) était un géant dans la mythologie grecque. Surveillant en permanence grâce à ses cent yeux se relayant par moitié, il serait à l'origine des yeux sur les plumes de paon !
Balayer d'une seule traite une année entière aurait été fastidieux. C'est pourquoi nous nous contenterons aujourd'hui du premier semestre. Nous reviendrons une prochaine fois avec les six mois suivants. Eh oui ! C'est la première fois que nous publions un feuilleton.

Notes
1 – la chanson des pommes de terre (n° 72 – septembre 2014) est aussi sur notre CD « plaisirs de la table ».
2 – extrait de l'étude de Patrice Coirault sur ce sujet, dans son ouvrage « la formation de nos chansons folkloriques ».

Interprète : Jean-Louis Auneau
Sources orales : 1 - Madeleine Hardy – Le Cellier – enregistrée le 18/12/1988 par Pierre Guillard -2 – Aurélie Renaud – Nozay - enregistrée le 3/07/1991 par Pierre Guillard
Sources écrites : Armand Guéraud, « chants populaires du comté nantais et du bas Poitou » édition critique de Joseph Le Floc'h (FAMDT éditions – 1995) p. 444 – Arthur Rossat, « chansons populaires recueillies dans la Suisse romande » tome 2 (Sté suisse des traditions populaires - Lausanne 1930)
catalogue Coirault : 10015, Janvier près d'un bon feu
catalogue Laforte : IV, Ca-11, Les mois

Janvier près d'un bon feu
Il fait bon jouer quelque jeu
On n'y voit que frimas
Que neige glaçons et verglas.
Chacun sous son toit
Chante rit et boit
Buvant de bon vin
Chassons le chagrin
Et les tendres amants
Raniment leurs doux sentiments,
Et l'objet de leurs vœux
Est souvent sensible à leurs feux

Février en carnaval
Fait courir les masques au bal.
Par leurs déguisements
Philis va tromper son amant ;
Les ruses d'amour
S'emploient en ce jour,

Rendant superflus
Les yeux des Argus
Tout est en liberté,
Les masques furent inventés
Pour cacher nos défauts;
Ils furent inventés à propos.


Mars couvert de lauriers
Rappelle nos braves guerriers.
La générale bat,
Soldats, soyez prêts aux combats!
Chaque combattant
Suit son commandant,
Tous les généraux
Rangent leurs drapeaux;
A chaque rang qui part
On tir' le canon du départ,
Pour saluer les amis
Ceux qui soutiennent la patrie.

Avril, sous ses ormeaux
Ramène bergers et troupeaux ;
Tout renaît dans les champs,
Avec le retour du printemps!
Les rossignolets
Parmi ces bosquets
Chantent leurs chansons
Sur ces verts gazons;
Tout germe et refleurit
Chaque oiseau refait son nid
Filles, préparez-vous
A vous choisir des époux.


Mai nous produit des fleurs
Des plus ravissantes couleurs ;
Les bois sont enchantés,
Feuillages remplis de beautés ;
Tout charme, tout rit
Et tout reverdit,
Et mille doux fruits
Charment à plaisir.
Dedans ce riant cours
De fleurs revenues à l'amour,
Et dedans ce beau jour
La terre est fertile pour tous.


Juin, apprêtez les foins
Il faut y porter tous nos soins
Allons jeune Isabeau
Il faut promener le râteau
Courage, faucheur
Donnez au faneur
L'ouvrage à foison
Coupez le gazon
Le généreux Pierrot
Va prêter la main à Margot
Dans ces aimables lieux
Il fait bon passer deux à deux

à suivre


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