vendredi 23 juin 2017

206 – La brune de Saint-Nazaire

La ville de Saint-Nazaire fête en ce moment le centenaire de l'arrivée des troupes américaines en 1917. Mais contrairement à une chanson des semaines précédentes, la brune en question ne s'intéresse ni aux soldats ni aux capitaines. Elle est amoureuse d'un marin. Pourtant c'est encore une différence de classe qui rend cet amour impossible.
Cette chanson au thème peu courant est principalement connue dans l'ouest. Plusieurs versions ont été collectées en Loire-Atlantique et en Morbihan. Celle que nous vous proposons vient des collectes de Fernand Guériff. Sa mélodie est moins connue que celles déjà enregistrées sur disques (1).
pour lire la suite et écouter la chanson :


Le propos de cette chanson ne justifie guère le titre générique qui lui a été donné par Patrice Coirault  : « celle dont personne ne veut ». Si la belle est repoussée c'est en raison de sa situation sociale symbolisée par ses atours vestimentaires. A l'inverse de celle que nous avons vue refuser un soldat pour choisir un capitaine, ici le galant refuse le mariage avec une femme qui dépasse sa condition sociale. Cette chanson fait écho à une autre où un prétendant s'interroge sur le parti à prendre. S'il épouse la fille d'un riche homme :
elle me dira de temps à autre
tu n'avais rien quand je t'ai pris
tu couchais ton dos sur la paille
et aujourd'hui dans un bon lit.
Il est en effet assez rare dans la chanson de voir une jeune fille prendre l'initiative de la demande et se faire rejeter. Il existe, certes, une chanson ou le petit couturier refuse une fille quand bien même elle lui donnerait des cent et des mille...pour regretter aussitôt son geste. Avec la brune de Saint-Nazaire, il n'est pas question d'argent mais de signes extérieurs de richesse qui se traduisent par des robes et des dentelles qui ne sont pas l'ordinaire du milieu dont est originaire le garçon. Le plus souvent celui ci fait partie du personnel navigant, marin ou marinier, quand la chanson situe l'action à Saint-Nazaire ou à Rochefort. Mais nous nous trouvons parfois en présence de boulangers, de maçons ou de terrassiers dans des versions moins maritimes.
Aux falbalas, rubans et frisons de la demoiselle, symboles de luxe sinon de richesse (comme la montre portée au coté) le garçon oppose systématiquement des attributs salissants de son métier, comme pour mieux repousser la belle : brouette, wagon, truelle et surtout le goudron qui sert à calfater les bateaux.
La fille n'insiste pas et laisse s'exprimer son dépit. Notre texte d'inspiration très maritime ajoute des adieux aux îles lointaines et au port de Toulon. La conclusion habituelle est celle de l'avant dernier couplet : adieu mes qualités, ma beauté...puisqu'un marin m'a refusée, et :
adieu mes bien, adieu mes rentes
puisqu'au marin n'ai pu prétendre
la version donnée par Armand Guéraud paraît même plus logique, disant :
puisqu'un marin n'y veut prétendre
Car c'est bien l'argent, la richesse et le rang social qui sont l'argument principal. A cette résignation de la belle, une seule version (2) oppose une tentative de négociation :
J'y vendrai toutes mes dentelles et mes frisons
ce sera pour avoir le maçon...
mais sans plus de succès.

notes
1 – écoutez en particulier celles enregistrées par Roland Brou (sur les CD : Trois garçons du Lion d'or/ Roquio / Anthologie de la chanson française vol. 15) ou Charles Quimbert (CD : j'entends la seraine) reprenant une mélodie d'André Drumel.
2 – dans les chansons populaires de l'Anjou, de François Simon (1926) – texte faisant référence aux villes de Jallais et Loiré (Maine et Loire)

interprète : Hugo Aribart
source : Fernand Guériff, Le trésor des chansons folkloriques populaires recueillies au pays de Guérande, volume I, page 189 - informateur : Mme Thobie, à Piriac (44), en 1953
catalogue P. Coirault : Celle dont personne ne veut (02810)

A Saint-Nazaire y’a t’une brune
Qui voudrait bien faire sa fortune
Elle voudrait bien s’y marier
Avec un garçon marinier

Elle s’en va chez madame l’hôtesse (bis)
N’y a-t-il pas marin ici
Ah, je voudrais parler avec lui

Il est là-haut dedans la chambre
Allez, vous parlerez ensemble
Il est là-haut dessus son lit
Allez, vous parlerez à lui

Oh, d’un bonjour, votre servante
A toi, marin, je viens me rendre
Je suis venue te demander
Si tu voulais te marier

Vous êtes un peu trop magnifique
Pour moi, marin qui n’est pas riche
Vous portez robes et falbalas
Cela surpasse mon état

Vous portez encore autre chose
J’en suis surpris, j’en suis morose
Vous portez dentelles et rubans
Cela dépasse la raison

Vous portez encore autre chose
J’en suis surpris, j’en suis morose
Vous portez la montre au côté
Cela surpasse mon métier

Adieu mes biens, adieu mes rentes
Puisqu’au marin n’ai pu prétendre
Adieu les îles où je suis née
Puisqu’un marin m’a refusée

Adieu les îles de l’Amérique
La Guadeloupe, la Martinique
Adieu la belle ville de Toulon
Où j’ai si bien passé mon temps.

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