vendredi 21 octobre 2016

172 - L’autre jour dans la plaine

Ringardes les chansons de bergères ? Avouez qu'on vous l'a déjà dit et que vous même vous y avez pensé. Et pourtant ces charmantes petites histoires ne manquent pas d'intérêt. Elles sont, certes, datées et dépassées sur la forme mais pas plus, sur le fond, que toute la littérature classique. Avec leurs personnages incontournables, bergères et bergers, moutons, chien fidèle et loup affamé, chasseur entreprenant et monsieur de la ville qui se prend des râteaux ! Elles nous plongent dans un univers décalé.
Celle ci est basée, comme beaucoup d'entre elles, sur un dialogue entre une jeune fille à la vie et aux mœurs simples et un « monsieur » dont les intentions ne sont pas claires. Elle laisse pourtant envisager une suite là où l'importun est habituellement renvoyé sans remords.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


Pour ajouter une touche sociologique à cette présentation, il faut bien considérer que nous avons là les deux extrêmes de la société de l'ancien régime. D'un côté un chasseur à cheval, donc issu de la noblesse. De l'autre la plus humble des situations, une activité méprisée par une grande partie de la paysannerie, laboureurs ou cultivateurs qui considèrent que garder des troupeaux n'est pas un métier valorisant. Hormis de vrais bergers, cette occupation est souvent confiée aux plus faibles, jeunes filles ou même enfants. Malgré la mièvrerie de certaines paroles, les chansons de bergères sont donc loin d'être complètement innocentes.
Pour une fois notre chanson de la semaine offre un texte assez complet et mieux conservé que celui de bien d'autres collectes. Il est reproduit dans deux ouvrages bien connus, ceux d'Armand Guéraud et de Fernand Guériff (1). Cette chanson a été collectée au 19ème siècle par Charles Loyer aux alentours de Pontchateau, en Loire-Atlantique. Loyer a précisé que son informatrice chantait en filant. A cette époque l'univers des bergères n'était donc pas si éloigné.
Fernand Guériff le commente en rappelant que Georges Delarue a publié une étude sur ce sujet d' 'après les collectes de Millien, dans la Nièvre. Il ajoute à propos de la mélodie : « Notre version à 8 vers par couplets paraît ancienne ; celle à 6 vers résultant d'une évolution ultérieure. Les musiques recueillies dans Millien dérivent d'une célèbre romance d'Albanese : « au bord d'une fontaine. » La nôtre en possède bien encore quelques tournures, mais la folklorisation de la première phrase musicale s'en éloigne. Nous trouvons un air proche du nôtre dans le recueil Guillon (Ain) p. 69 »
La romance en question, d'Antonio Albanese, date de 1775, période où les histoires de bergères connaissaient un regain de vitalité dans la littérature populaire et jusqu'à la cour du roi de France. L'hypocras, boisson fort ancienne, revient aujourd'hui à la mode mais le « jus de tonnelle » est une appellation locale. Dans les versions d'autres régions il est question de vin de Tonnerre. Peut-on pour autant suggérer une origine bourguignonne à cette chanson ?. Autre nuance, si la bergère préfère l'eau à « toutes ces liqueurs » c'est l'expression « toutes ces drogues » qui revient le plus souvent dans les autres collectes !
Les versions à 6 vers sont les plus nombreuses, mais surtout, elles semblent moins complètes que celle de Pontchateau. Guériff a sans doute raison de les considérer plus récentes ; en particulier celle notée dans l'Ain qui substitue la pomme de terre aux pommes (2).
Bien que l'histoire ait été conservée en intégralité, il manque deux vers dans le dernier couplet, difficulté que nous avons tournée en bissant les deux premiers vers. Pour les reconstituer, il faut se référer à d'autres versions. On les retrouve chez Orain (Bain de Bretagne – 35) ou chez Simon (Angers – 49) sous une forme quasi identique :
Mit la main dans sa poche
Pour me récompenser...
Et pour le cas où le monsieur, un peu long à la détente, n'aurait pas compris qu'on lui demande de passer son chemin rapidement, un couplet très explicite est ajoutée dans la version notée par Guillon à propos de l'habillement de la bergère :
Pour t'habiller ma bergère
Comment t'habilles tu donc
Ce n'est pas moi qui m'habille
C'est mon aimable berger
Qui vient faire ma toilette
Tous les matins me friser
...Circulez, y'a rien à voir !


Notes
1 – Guériff dans le tome 1 (voir ci dessous) – Guéraud : chants populaires du comté nantais et du bas Poitou, tom 1, p. 282
2 – voir à ce sujet les commentaires de la chanson des pommes de terre à propos de la popularisation tardive de cet aliment

interprète : Daniel Lehuédé
source : Fernand Guériff, le trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande tome 1, p. 106
catalogue P. Coirault : J’entends un grand tapage (Bergère et monsieur – N° 04301)

La bergère et le chasseur

L’autre jour dedans la plaine
En gardant mes blancs moutons
J’étais toute réjouie
Et je chantais des chansons
J’entends un grand tapage
Qui me remplit d’effroi
Ensuite, un bel équipage
Se présentit devant moi (bis)

N’ayez point peur, la bergère
C’est moi qui suis le chasseur
Calmez donc votre colère
Rassurez donc votre cœur
Avez-vous vu la chasse
Dites-moi, savez-vous
De quel côté que l’on passe
Pour aller au rendez-vous (bis)

Elle me répondit, sans crainte
Monsieur, la chasse n’est pas loin
Passez dessur votre droite
C’est votre plus court chemin
Que ta beauté m’enchante
Me dit-il, souriant
Que tu es belle et charmante
De quoi vis-tu, belle enfant (bis)

Vives-tu comme une reine
De pain blanc et de biscuits
De beaux lapins de garenne
De cailles et de perderix
Du pain bis et des pommes
La soupe au lard seulement
Les filles, les femmes, et les hommes
Ne vivent point autrement (bis)

Et pour boisson ma bergère
Boives-tu de l’hypocras
Ou bien du jus de tonnelle
Connais-tu le chocolat
De l’eau de cette fontaine
Monseigneur, que voilà
Est bien mille fois plus saine
Que toutes ces liqueurs là (bis)

Permets que je te demande
Si ton repos est parfait
As-tu un lit de commande
Couches-tu sur le duvet
Sur la mauvaise plume
Sur un dur matelas
Monsieur, jamais le rhume
N’attaque mon estomac (bis)

Il fallut que je m’y lève
Car il voulait m’embrasser
Il fallut que je m’y lève
Car il voulait m’embrasser
Cent écus d’or me donne
Me disant : bergère, bonsoir
J’aurai soin de ta personne
Dans peu, je viendrai t’y voir (bis).

Dernier couplet rectifié :
Il fallut que je m’y lève
Car il voulait m’embrasser
Mit la main dans sa poche
Pour me récompenser
Cent écus d’or me donne
Me disant : bergère, bonsoir
J’aurai soin de ta personne
Dans peu, je viendrai t’y voir (bis).

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