Ringardes les chansons de bergères ?
Avouez qu'on vous l'a déjà dit et que vous même vous y avez pensé.
Et pourtant ces charmantes petites histoires ne manquent pas
d'intérêt. Elles sont, certes, datées et dépassées sur la forme
mais pas plus, sur le fond, que toute la littérature classique. Avec
leurs personnages incontournables, bergères et bergers, moutons,
chien fidèle et loup affamé, chasseur entreprenant et monsieur de
la ville qui se prend des râteaux ! Elles nous plongent dans un
univers décalé.
Celle ci est basée, comme beaucoup
d'entre elles, sur un dialogue entre une jeune fille à la vie et aux
mœurs simples et un « monsieur » dont les intentions ne
sont pas claires. Elle laisse pourtant envisager une suite là où
l'importun est habituellement renvoyé sans remords.
Pour écouter la chanson et lire la
suite :
Pour ajouter une touche sociologique à
cette présentation, il faut bien considérer que nous avons là les
deux extrêmes de la société de l'ancien régime. D'un côté un
chasseur à cheval, donc issu de la noblesse. De l'autre la plus
humble des situations, une activité méprisée par une grande
partie de la paysannerie, laboureurs ou cultivateurs qui considèrent
que garder des troupeaux n'est pas un métier valorisant. Hormis de
vrais bergers, cette occupation est souvent confiée aux plus
faibles, jeunes filles ou même enfants. Malgré la mièvrerie de
certaines paroles, les chansons de bergères sont donc loin d'être
complètement innocentes.
Pour une fois notre chanson de la
semaine offre un texte assez complet et mieux conservé que celui de
bien d'autres collectes. Il est reproduit dans deux ouvrages bien
connus, ceux d'Armand Guéraud et de Fernand Guériff (1). Cette chanson
a été collectée au 19ème siècle par Charles Loyer aux alentours
de Pontchateau, en Loire-Atlantique. Loyer a précisé que son
informatrice chantait en filant. A cette époque l'univers des
bergères n'était donc pas si éloigné.
Fernand Guériff le commente en
rappelant que Georges Delarue a publié une étude sur ce sujet
d' 'après les collectes de Millien, dans la Nièvre. Il ajoute
à propos de la mélodie : « Notre version à 8 vers par
couplets paraît ancienne ; celle à 6 vers résultant d'une
évolution ultérieure. Les musiques recueillies dans Millien
dérivent d'une célèbre romance d'Albanese : « au
bord d'une fontaine. » La nôtre en possède bien encore
quelques tournures, mais la folklorisation de la première phrase
musicale s'en éloigne. Nous trouvons un air proche du nôtre dans le
recueil Guillon (Ain) p. 69 »
La romance en question, d'Antonio
Albanese, date de 1775, période où les histoires de bergères
connaissaient un regain de vitalité dans la littérature populaire
et jusqu'à la cour du roi de France. L'hypocras, boisson fort
ancienne, revient aujourd'hui à la mode mais le « jus de
tonnelle » est une appellation locale. Dans les versions
d'autres régions il est question de vin de Tonnerre. Peut-on pour
autant suggérer une origine bourguignonne à cette chanson ?.
Autre nuance, si la bergère préfère l'eau à « toutes ces
liqueurs » c'est l'expression « toutes ces drogues »
qui revient le plus souvent dans les autres collectes !
Les versions à 6 vers sont les plus
nombreuses, mais surtout, elles semblent moins complètes que celle
de Pontchateau. Guériff a sans doute raison de les considérer plus
récentes ; en particulier celle notée dans l'Ain qui substitue
la pomme de terre aux pommes (2).
Bien que l'histoire ait été conservée
en intégralité, il manque deux vers dans le dernier couplet,
difficulté que nous avons tournée en bissant les deux premiers
vers. Pour les reconstituer, il faut se référer à d'autres
versions. On les retrouve chez Orain (Bain de Bretagne – 35) ou
chez Simon (Angers – 49) sous une forme quasi identique :
Mit la main dans sa poche
Pour me récompenser...
Et pour le cas où
le monsieur, un peu long à la détente, n'aurait pas compris qu'on
lui demande de passer son chemin rapidement, un couplet très
explicite est ajoutée dans la version notée par Guillon à propos
de l'habillement de la bergère :
Pour t'habiller ma bergère
Comment t'habilles tu donc
Ce n'est pas moi qui m'habille
C'est mon aimable berger
Qui vient faire ma toilette
Tous les matins me friser
...Circulez, y'a rien
à voir !
Notes
1 – Guériff dans le tome 1 (voir ci
dessous) – Guéraud : chants populaires du comté nantais et
du bas Poitou, tom 1, p. 282
2 – voir à ce sujet les commentaires
de la chanson des pommes de terre à propos de la popularisation
tardive de cet aliment
interprète : Daniel Lehuédé
source : Fernand Guériff,
le trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande
tome 1, p. 106
catalogue P. Coirault :
J’entends un grand tapage (Bergère et monsieur – N° 04301)
La bergère et le chasseur
L’autre jour dedans la plaine
En gardant mes blancs moutons
J’étais toute réjouie
Et je chantais des chansons
J’entends un grand tapage
Qui me remplit d’effroi
Ensuite, un bel équipage
Se présentit devant moi (bis)
N’ayez point peur, la bergère
C’est moi qui suis le chasseur
Calmez donc votre colère
Rassurez donc votre cœur
Avez-vous vu la chasse
Dites-moi, savez-vous
De quel côté que l’on passe
Pour aller au rendez-vous (bis)
Elle me répondit, sans crainte
Monsieur, la chasse n’est pas loin
Passez dessur votre droite
C’est votre plus court chemin
Que ta beauté m’enchante
Me dit-il, souriant
Que tu es belle et charmante
De quoi vis-tu, belle enfant (bis)
Vives-tu comme une reine
De pain blanc et de biscuits
De beaux lapins de garenne
De cailles et de perderix
Du pain bis et des pommes
La soupe au lard seulement
Les filles, les femmes, et les hommes
Ne vivent point autrement (bis)
Et pour boisson ma bergère
Boives-tu de l’hypocras
Ou bien du jus de tonnelle
Connais-tu le chocolat
De l’eau de cette fontaine
Monseigneur, que voilà
Est bien mille fois plus saine
Que toutes ces liqueurs là (bis)
Permets que je te demande
Si ton repos est parfait
As-tu un lit de commande
Couches-tu sur le duvet
Sur la mauvaise plume
Sur un dur matelas
Monsieur, jamais le rhume
N’attaque mon estomac (bis)
Il fallut que je m’y lève
Car il voulait m’embrasser
Il fallut que je m’y lève
Car il voulait m’embrasser
Cent écus d’or me donne
Me disant : bergère, bonsoir
J’aurai soin de ta personne
Dans peu, je viendrai t’y voir (bis).
Dernier couplet rectifié :
Il fallut que je m’y lève
Car il voulait m’embrasser
Mit la main dans sa poche
Pour me récompenser
Cent écus d’or me donne
Me disant : bergère, bonsoir
J’aurai soin de ta personne
Dans peu, je viendrai t’y voir
(bis).
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