vendredi 26 février 2016

141 - Eveillez-vous la belle (Le départ du soldat)

Le départ des soldats, pour des campagnes interminables ou des mers lointaines, nous a laissé une quantité de chansons sur le thème de l'abandon. Pleurs et fatalisme dominent dans ce répertoire, mais on voit encore assez souvent une forme de rébellion chez celle qui ne peut se résigner à attendre le retour du bien aimé. On en voit qui s'engagent, avec ou sans le consentement de leur amant, et qui parviennent à le suivre jusqu'au combat où seule une blessure permet de révéler leur stratagème.
Notre chanson, qui vient du répertoire de la presqu'ile guérandaise, est basé sur un dialogue entre les deux jeunes gens. Le garçon essaye en vain de dissuader sa belle qui trouve toujours un argument contraire. Elle se termine sur une idylle patriotico-amoureuse où les deux amants s'engagent pour le meilleur et pour le pire. Une conclusion heureuse qui pose question sur l'origine de cette chanson.
Pour l'écouter et lire la suite :



Les filles-soldats ne sont pas les plus nombreuses, même dans les chansons traditionnelles. Si généralement les jeunes filles se contentent de pleurer sur leur sort au départ de leur amant, il en est aussi qui se consolent plus ou moins rapidement. Ce qui nous donne des chansons de retour du soldat avec des situations difficiles : remariage, enfants d'un autre, etc
Quelques indices nous font penser que cette chanson n'est pas si ancienne. Partout où on la retrouve la mélodie est semblable, aux variations près. Les textes s'éloignent peu de la même trame, des Alpes à la Bretagne et du centre France à la côte atlantique.
Curieusement, il manque dans notre version un argument présent dans presque toutes les autres, y compris dans des collectes en Loire-Atlantique (1). Le garçon joue sur la sensibilité de la fille en lui parlant de coucher à la dure. Ce qui lui vaut comme réponse que :
ce n'est pas un tourment
de coucher sur la terre
auprès de son amant
Ce galant qui s'en va a donc déjà perdu une bataille. A bout d'arguments il s'est laissé convaincre. Mais, avouez qu'arriver à la caserne avec sa petite amie ça ne fait pas très sérieux. Cette « fin heureuse » (2) manque singulièrement de réalisme.
Le contexte de cette chanson et ses arguments nous semblent plus près du décor d'opérette que d'une situation vécue. Il est fort probable qu'elle ne date pas de plus loin que le dix neuvième siècle. Les arguments patriotiques y sont post-révolutionnaires : la France, la patrie et la liberté. Une diffusion par feuille volante est même envisageable ; Achille Millien y fait référence pour au moins une des versions qu'il a notées en Nivernais (3).
Malgré ses faiblesses cette chanson a de beaux atouts. Surtout quand on joue sur son aspect dialogué, comme l'on fait nos deux commères Annick et Françoise qui l'on incluse dans leur spectacle de chants de la presqu'ile guérandaise.

notes
1 – par exemple celle collectée par Patrick Bardoul à Sion les mines, chantée par Marie Barthélémy. A écouter sur la base archives de Dastum
2 – En grand-breton on appelle ça une « happy end »
3 – page 28 du tome 3 des chansons populaires du Nivernais et du Morvan, de Millien, Delarue et Penavaire édité par le centre alpin et rhodanien d'ethnologie en 1998


Interprètes : Françoise Bourse et Annick Mousset
Source : Le Trésor des Chansons Populaires Folkloriques, de Fernand Guériff, Tome 1, p.243 [Répertoire Tattevin (T16)]
Catalogue Coirault : 3012 - la belle qui veut prendre les armes

1-)
Eveillez-vous la belle ! je viens vous avertir ( bis
La patrie me rappelle, Hélas, il faut partir ! ( bis

2-)
Ne versez pas de larmes, galant, ne pleurez pas !
Si vous prenez les armes, Je n' resterai pas là !

3-)
Ah si, restez, la belle ! Attendez mon retour !
Soyez toujours fidèle, Aimez-moi donc toujours !

4-)
Ne me parl' pas d'attendre, Ce sera un martyr'.
Je ne veux pas comprendre, Je suis prête à partir.

5-)
Si vous prenez les armes, Je veux, mon cher amant
Loin de verser des larmes, Vous suivre au régiment !

6-)
Restez ma chère amie, Jusques à mon retour.
Pensez à la patrie ! Pensez à notre amour !

7-)
Je ne pourrai z'attendre, Ton retour des combats
Aussi je vais me rendre, au milieu des soldats !

8-)
Reste, je t'en conjure, dans ton pays natal
La guerre est, je t'assure, Un effroyable mal.

9-)
Sur le champ de bataille, Si tu viens avec moi,
On verra ton visage, tout pâli par le froid.

10-)
Jamais dans la bataille, je n'aurai de frayeur.
À travers la mitraille, je te suivrai sans peur.

11-)
Puisque tu veux me suivre, prends l'habit de soldat
Pour toi, mourir ou vivre est le plus bel état.

12-)
Chère amie, pour la France, Tous deux nous combattrons !
Et si le veut la chance, Ensemble nous unirons !


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