vendredi 22 janvier 2016

136 - Le duc du Maine

Quel est le lien de parenté entre ce Duc du Maine et le sire de Framboisy ? Leur histoire est identique. C'est celle d'un homme d'âge mur qui épouse une petite jeunette, puis la délaisse pour vaquer à ses occupations d'homme de guerre. Pendant son absence, la délaissée se prend du bon temps. Le retour du mari se passe mal et finit de façon dramatique par la mort de la jeune femme. On est en plein drame moyenâgeux ; le thème est familier dans d'autres chansons de cette époque.
Oui mais ; la chanson du sire de Framboisy a été composée en 1855 par Ernest Bourget(1), l'un des trois fondateurs de la SACEM. Ce qui relativise le coté moyenâgeux de l'affaire. On la trouve dans certaines collectes, par exemple en Loire-Atlantique, dans le pays de Redon. Mais alors pourquoi en presqu’île Guérandaise est ce le duc du Maine qui est le héros de cette histoire ?
pour écouter la chanson et lire la suite


La chanson du sire de Framboisy a connu un certain succès dans la seconde moitié du 19ème siècle ; sur les planches des cabarets et théâtres parisiens pour commencer. Elle a aussi été adoptée dans les milieux populaires, au point qu'on la trouve dans les ouvrages de plusieurs collecteurs de cette époque.
Son côté dramatique, peut être hérité d'une légende plus ancienne, s'efface au final derrière des procédés tragi-comiques du café concert. Le mari :
creuse sa tombe du bout de son parapluie
sème sur sa tombe de la graine de persil
ce qui n'empêche pas celui ci de perpétrer son crime, tantôt en empoisonnant sa femme, tantôt en lui coupant la tête, parfois à coup de fusil.
Le Sire l'a retrouvée dans un bal, c'est une constante dans toutes les versions. Parfois elle y danse la polka ce qui correspond bien à la période de diffusion de cette danse à la mode depuis son introduction à Paris vers 1840.
La morale des deux derniers vers du sire de Framboisy est plus sérieuse :
De cette histoire, la morale la voici
A jeune femme, il faut un jeune mari
Revenons maintenant à notre chanson Guérandaise. Fernand Guériff en donne deux versions (2). La mélodie de la seconde, notée à Penestin en 1857, correspond exactement à celle chantée à Roland Brou par Constance Crusson dans les années 80 ; 1980 cette fois !
Cette chanson est elle une adaptation de l'histoire de Framboisy ou bien a-t-elle une autre origine ? Pourquoi sur nos côtes est-il remplacé par le Duc du Maine, comte de Chambéry ou de Kervoisy selon les sources ? Ce Du Maine est-il parent avec « la Du Maine » choisie par le fils du roi dans la chanson « dix filles dans un pré » ? Avec le grand Duc du Maine dont la mort fit pleurer le roi ? La chanson d'Ernest Bourget a-t-elle beaucoup emprunté à une autre plus ancienne (3)  ?
Seulement deux ans après sa publication à Paris, la chanson aurait alors subi un processus de folklorisation rapide. Des éléments (coupe, assonance) permettent de suivre la filiation avec la chanson type. Mais d'autres transformations (personnages, paroles, refrain, mélodie) permettent d'imaginer un autre processus. Si la chanson de Bourget a utilisé une base plus ancienne son retour vers la tradition orale ne pouvait qu'en être facilité.
Sans savoir si cette explication est la bonne, il nous faut citer les observations d'Edouard Le Héricher, auteur d'un ouvrage sur la littérature populaire de la Normandie publié à Avranches en 1884 : « Il n'y a pas de conte qui n'ait son ancêtre ; pas une chanson qui ne sorte d'une chanson ; pas d'air qui ne se perpétue indéfiniment...La chanson de Malborough est la chanson du duc de Guise ; le sire de Framboisy (impérial), de nos jours est sorti d'un chant ancien que chantait naguère à son fils une dame qui serait plus que centenaire aujourd'hui ».
Pour changer des questions sans réponses, signalons que la mélodie chantée ici est adaptée à une danse locale, le bal paludier. Le trio Brou – Hamon- Quimbert l'a enregistrée en 1999 sur son CD « trois petits oiseaux il y a.. ». Il s'agit de la même version, écourtée par l'informatrice. Nous vous donnons donc, en complément, les paroles du second texte noté par Guériff.

notes
1 - paroles de Ernest Bourget, musique de Laurent de Rillé en 1855
2 - dans le tome 1 du trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande, page 136
3 - Ce qui serait un comble pour l'un des trois fondateurs de la SACEM.

interprète : Béatrice De Noüe, avec Annick Mousset, Isabelle Maillocheau et Simone Lalande
source : Constance Crusson de La Baule (Loire-Atlantique) collectage de Roland Brou le 29 juin 1996
catalogue P. Coirault : Le sire de Framboisy (Crimes passionnels – N° 09907)
catalogue C. Laforte : Le retour du mari soldat : la femme trop jeune (I, B-22)


Le duc du Maine s’est marié à Paris (bis)
Il a prit femme, pas guère à ses loisirs
Le duc du Maine, le comte de Chambéry

Il a pris femme, pas guère a ses loisirs (bis)
Il l’a pris trop jeune, il va s’en repentir
Le duc du Maine…

… Partit en guerre combattre l’ennemi…

… Revient de guerre quand la guerre fut finie…

… Cherchant sa femme quatre jours et quatre nuits…

… Il la trouva dans un bal à Paris…

… Petite femme, que faites-vous ici…

… Je ris, je bois, je chante, je me divertis…

… Petite femme, avez-vous un mari…

… Oh oui, à mon grand repentir…

… Petite femme, vous lui parlez à lui…

… Grand dieu du ciel, quelle parole que j’ai dit…

La suite, prise dans la version N° 2 du recueil de F. Guériff
Prenez votre sabre et me tuez ici
Non, non Madame, je n'en ai point souci
La prit, l'embrasse, dans son carrosse la mit
Hors de la ville la tête il lui tranchit
Sonnez trompette, hautbois et violon
Ma dame est morte j'en sais bien la raison

La version de 1855 du sire de Framboisy

C'était l'histoire du Sire de Framboisy
Avait pris femme, la plus belle du pays
La pris trop jeune, bientôt s'en repentit
Partit en guerre afin qu'elle mûrit
Revint de guerre après cinq ans et demi
Trouva personne de la cave au chenil
Appela la belle trois jours et quatre nuits
Un grand silence hélas lui répondit
Le pauvre sire a couru tout Paris
Trouva la dame dans un bal à Clichy
Corbleu princesse que faites vous ici ?
Voyez je danse avec nos amis
Dans son carrosse la mène à Framboisy
Il l'empoisonne avec du vert-de-gris
Et sur sa tombe il sema du persil
De cette histoire, la morale, la voici:

A jeune femme, il faut jeune mari !  

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