vendredi 27 février 2015

94 - Bonjour, ma chère Eléonore

Oh combien de marins, combien de capitaines qui sont partis joyeux pour des courses lointaines...sont venus faire de touchants adieux à leurs bien aimées. La chanson a conservé ces dialogues avec Virginie, Victoire, Eugénie, Isabeau, Marguerite ou Eleonore.
Si aujourd'hui la seule incertitude sur le retour du galant est causée par un retard éventuel d'un charter ou d'un TGV, le départ pour un long voyage ressemblait jadis à un saut dans l'inconnu. La plupart de nos ancêtres, jamais sortis des limites de leur canton, avaient tendance à imaginer toutes sortes de périls. D'autant qu'ici ce sont les aléas de la navigation qui sont en cause. Le canon qui gronde sur le pont ne signifie pas obligatoirement que l'amant part pour la guerre. La navigation au long cours, le commerce à la voile ou même la pêche lointaine pouvant s'avérer tout aussi périlleux.
Bien que collectée vers 1860, cette chanson conserve son intérêt, malgré les progrès de la navigation.
écouter la chanson et lire la suite


Cette chanson, publiée par Fernand Guériff dans deux de ses ouvrages (1), provient des collectes de Gustave Clétiez, dont nous avons parlé les semaines précédentes. La version la plus proche – géographiquement parlant – des adieux à Eleonore se trouve dans les publications de Guéraud, auxquelles nous faisons souvent référence. Mais, comme la plupart des chansons du même type elle ne fait pas référence à la navigation. Avant que les larmes n'y coulent à flot, l'amant se contente de rappeler son serment de fidélité et jure qu'il reviendra dans deux ans.
En fait notre chanson est plus proche d'un autre type connu sous le titre « Virginie les larmes aux yeux » où le garçon tente de rassurer sa bien aimée en lui vantant ses qualités de marin : « je connais le pilotage...je sais conduire mon vaisseau...je ne crains pas les éléments... ». Aucune de ces deux chansons ne semble liée à une région en particulier. Des versions de Virginie ont été notées très loin des côtes : Alpes, Jura...
Si on compare les différentes versions la ressemblance de la notre autant avec « Eleonore » qu'avec « Virginie » est confortée par la versification :
Type Eleonore (Coirault 2903) vers de 8 pieds ; assonances masculines sauf la dernière
Type Virginie (Coirault 3206) vers de 7 pieds ; alternance de deux terminaisons masculines et une féminine.
Collecte de G. Clétiez : vers de 8 pieds ; alternance d'une terminaison féminine puis de deux masculines.
Désolés de vous assommer avec ces considérations techniques ; c'est juste pour faire remarquer que nous tenons là une chanson particulièrement intéressante.
En revanche, si le narrateur de « Virginie... » promet bien souvent des réjouissances à son retour (2), la chanson de la semaine nous laisse en suspens. Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ? O flots, que vous savez de lugubres histoires ! Mais là, mon cher Victor, vous nous pourrissez carrément l'ambiance.

Notes
1 - Fernand Guériff Volume 1, page 174 – volume 3, page 361
2 – voyez par exemple « voiles au vent » p 381 dans les « chansons populaires de Haute Bretagne » de Marie Drouart, publiées par Dastum en 2014. Ouvrage disponible ici

collecte : Gustave Clétiez vers 1860
Interprétation : Janig Juteau
catalogue Coirault : les adieux à Eleonore 2903 – Virginie, les larmes aux yeux 3206

Bonjour, ma chère Eléonore

Bonjour, ma chère Eléonore
Je viens t’y faire mes adieux
Aujourd’hui je quitte ces lieux
Ô charmant objet que j’adore
Je penserai toujours à vous
En souvenir d’instants bien doux

Son beau navire est dans la rade
On voit flotter son pavillon
Le canon gronde sur le pont
Mon amant et ses camarades
S’ils mettent les voiles dehors
A l’instant vont quitter le port

Comment trouveras-tu la route
Ô camarade, mon ami
Toujours exposer à périr
Dessur la mer on n’y voit goutte
Toujours entre le ciel et l’eau
Triste voiture qu’un bateau

Chère amie, crois à ma parole
Tu sais je suis bon marin
La nuit, le soir et le matin
Observant toujours la boussole
Prions, invoquons le seigneur
Nous n’aurons jamais de malheur.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire