vendredi 20 février 2015

93 - Le marinier et la belle

C'est toujours la même histoire, quelle que soit la chanson. La belle monte dans le bateau pour un motif ou un autre : marchander du blé, admirer la mature, écouter chanter un matelot...ou encore mieux, sans se chercher d'excuses comme ici parce que le marinier est si beau ! Mais à peine le bateau a-t-il quitté le port que la belle regrette d'avoir embarqué. Elle supplie, elle pleure, elle entend ses enfants pleurer, elle se soucie du qu'en dira-t-on.
Si la belle a eu le pied léger, la métaphore maritime est, elle, un peu lourde. Comment faire comprendre à ces jeunes filles que s'enticher d'un beau garçon mérite réflexion ; que l'engagement et une chose plus sérieuse que les amours passagères. Dans une société ou les mœurs étaient surveillées en permanence, la chanson a joué un rôle évident. Ce thème revient avec insistance. Récapitulons :
pour écouter la chanson et lire la suite:


- Pendant qu'elle marchande du blé, le marinier met les voiles
- Elle monte dans la barque pour apprendre une chanson
- Elle monte dans le bateau à Bordeaux et reprend ses esprits on ne sait où
- Elle se laisse séduire en allant à la pêche
- et aujourd'hui elle revient des iles
Ca n'est pas très sérieux tout ça. Et encore oublions nous sans doute d'autres aventures maritimes !
Cette chanson, notée à deux reprises par Fernand Guériff (1), a été collectée essentiellement dans les bassins de la Vilaine, de la Loire et ses affluents, de l'estuaire jusqu'en Nivernais. De plus, la mélodie varie peu d'une version à l'autre. On peut donc supposer qu'elle ait réellement voyagé avec les mariniers.
Pourtant la provenance du marinier pose question : il revient des iles. Lesquelles ? Seule notre version fait référence aux îles de Constantine. N'ayant pu les localiser nous pouvons en déduire qu'elles se situent à peu près au même endroit que les tours de Babylonne et le pays de Barbarie (2), au pays des mythes. Les iles de Constantine seraient un endroit paradisiaque où on vit ses amours sans contrainte, mais pas sans regrets comme le suggère la chanson.
Enfin pour les nuls en géographie qui se seraient précipités sur leur atlas pour chercher la ville de Constantine, s'il y a bien un endroit où l'eau est rare c'est celui là !

Notes
1 – Guériff – chansons populaires folkloriques du pays de Guérande, tome 1 page 246 et tome 3 page 360.
2 – retour en janvier pour la chanson du petit navire (n° 90)

source : Fernand Guériff tome 3, chansons de Brière de Saint Nazaire et de la presqu'ile guérandaise page 360
interprètes : Janig Juteau & Martine Lehuédé (chant) Jean-Louis Auneau (concertina)
catalogue P. Coirault : Le charmant matelot qui revenant des îles (Rapts – N° 1314)
catalogue C. Laforte : L’embarquement de la belle et le marinier (2-K-01)

Le Marinier et la belle

M’y promenant le long de ces verts prés
J’ai entendu un marinier chanter
Un marinier revenant de ces îles
Qui m’a prié d’entrer dans son bateau
Je le regarde, je l’ai trouvé si beau
Qu’tout aussitôt, j’entrai dans son vaisseau

La pluie, le vent, la tempête et l’orage
Nous a r’culés dans ces îles, hors de France
En m’y voyant si éloignée sur l’eau
J’ai mis mon âme tout au pied du tombeau
Je crie, je pleure et je me désespère
C’est de m’y voir si éloignée de terre

Le marinier qui m’entendait pleurer
Me dit : la belle, je vous prie de cesser
Vos cris, vos pleurs, tout cela m’est contraire
En peu de temps nous reviendrons à terre
Dieu, que vont dire les filles de mon pays
Depuis sept ans que je suis partie

Tu leur diras que t’étais libertine
Depuis sept ans dans l’île de Constantine
C’est entre vous, jeunes filles à marier
Ne prenez point d’ces garçons mariniers
Pour un instant de plaisir dans la vie
Depuis sept ans je m’en suis repentie.



3 commentaires:

  1. Voici une version enregistrée en 1973 de "M’y promenant le long de ces verts prés" par Catherine Perrier, Chansons traditionnelles françaises, disque Le chant du Monde)
    (La chanson est dite recueillie en Haute-Bretagne, dans la région de St Nazaire, Musée des Arts et Traditions Populaires)


    M’y promenant le long de ces verts prés
    J’ai entendu la voix d’un marinier
    Marinier fort docile
    Il m’a fort bien prié
    D’entrer dans son navire.

    J’l’ai r’gardé, je l’ai trouvé si beau
    J’ai mis le pied sur le bord du bateau
    Il m’a donné un coup de nageoire
    Il m’a bien emmenée
    Sept cent mille lieues sur mer(e).

    Mon petit cœur était bien désolé
    Ah de me voir si éloignée
    Si éloignée de terre.
    Que diront-ils les gens de mon pays
    Depuis sept ans que me voilà partie
    Ils me diront petite libertine
    D’être restée sept ans
    Sur l’île de Constantine.

    Tu leur diras, bien loin de ma pensée,
    Cette petite chose que j’m’en vais t’raconter,
    J’étais assise sous l’ombrage
    Toujours en espérant
    De partir du rivage.



    Je vous signale que Maupassant dans ses carnets de voyages, compare Constantine à une île, enserrée par le Rhummel. A Nouméa à la même époque il existe un fort et une anse de Constantine, du nom du bateau du découvreur français.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ces renseignements. La version chantée par Catherine Perrier confirme donc la popularité de cette chanson dans la région de Saint Nazaire.
      Nouméa, si éloignée, pourrait bien correspondre à ce lointain voyage, même si pour certains il s'agissait d'un voyage forcé plus proche du cauchemar que du rêve.
      Quand au coté insulaire de la ville de Constantine, il nous avait échappé; sauf si on peut la considérer comme un oasis et donc une île en terre !

      Supprimer
  2. La version de Catherine Perrier provient sans doute d'une séance de collecte faite à La Chapelle des Marais en 1949. Ce qui me fait dire cela est le curieux montage du 3e couplet car, dans l'enregistrement original la chanteuse se trompe et reprend au même endroit ! A confirmer avec vérification sur la mélodie.
    Hervé Dréan

    RépondreSupprimer